samedi 27 septembre 2008

Périple



Tout ce qu’il doit réussir, c’est une descente. Juste rendre le bouton RDC rouge.
Introduire une clef, enclencher le moteur, sortir du sous-sol et prendre plein Est ou plein Sud. Nord et Ouest sont exclus : mers trop vite en butée une fois quelques cent ou cinq cent kilomètres selon qu’il choisit le premier ou le second.

Sud : doubles trois voies emboîtées qui le disperseront en terme de périple le long d’une côte bouffée de vieux, de lotissements plus ou moins cossus, de pseudo-gentilhommières péteuses pour orthodontistes juilletistes, de vendeurs de chichis, de bikinis, de bobs, de têtes de nœuds proprios de jet ski, d’épidermes cuivrés en coulée de fuel de Brindisi à Torremolinos.

Zéro pour le sud.

Exception : s’il préfère les teoz et leur gros cul bien lourd. Compte cinq, six jours pour pouvoir te tenir debout, déçu, les pieds sur une grève quelconque le long de cette mer close. Toutefois, le concept diffère : c’est le cheminement en lui-même qui compte ; le but est exclu de l’expérience.

En fin de compte, réfléchis, il en est de même si tu choisis l’Est. Quel espoir de nouvelle résidence, de vie ressuscitée, si tu te tournes vers l’Est ?

C’est TOUJOURS et UNIQUEMENT le cheminement qui compte.

Pour le moment, il reste posé sur son lit, son poing serré sur une molle boite de toile qui contient trois tubes de morphine pour injections et cent phénos de 80 mg. Il se dit qu’il peut refuser le périple. Périple inutile, ennuyeux et qui contient moins d’une once de rédemption, tous comptes effectués. Qu’il décide tout de suite du stop définitif plutôt que de prendre un véhicule, rouler, crever, remettre roues et durites, rouler encore, puis – forcément – lever le pied près d’un endroit quelconque et engloutir le muesli toxique. Couper les connexions ici, chez lui, ou vers Irkoutsk ou Nevers, quelle différence ?

Voie ferrée : revenons-y. Descentes quotidiennes du teoz vers les seize heures et tu y es, en pleine sous-préfecture, une de plus, deuxième, troisième ? Tu ne comptes plus. Hôtel du commerce moins d’une rue plus loin ; loué soit le récurent des demi-pensions. Peut-être, près des voies, l’unique pute de l’endroit, usée quoique courue, et que tu surveilles un moment, informes idées de chibre en tête. Oser, pour toi, c’est situé entre zéro et 0,1, et, puis, tout de même … Soyons honnête : cette sous-préfecture ne t’offre rien ; nul loisir, sortie, surprise, segment de temps plein d’ici le sommeil – pourquoi rejeter cette pute, réfléchis-y.
Non. Te promener le long des rues, quelquefois du XVIIème – souvent non, sentir et suivre l’odeur froide de l’ennui, comme un chien suit un lièvre blessé, de buissons en buissons, piste d’hémoglobine de plus en plus éventée lorsque l’on s’éloigne de l’épicentre.
Tu dînes seul, entouré de couples, de VRP, de non-identifiés, de femmes seules et hors de question que tu t’invites près d’elles pour tenir un rôle d’interlocuteur délicieux, sinon bienvenu. Trop de jours investis, trop de répétitions pour devenir l’homoncule qui n’est plus et qu’on ne voit plus. Seul le serveur oublie de t’ignorer ; logique : c’est un intérêt tout professionnel qui le motive.
Ensuite, le lit, une lecture peut-être ou quelques heures de nuit, longues, sèches, lesquelles verront tes yeux glisser sur les murs en quête d’un indice. Indice d’un pourquoi tu te trouves immobilisé pour encore 12 heures en centre-ville de cette sous-préfecture et en cet hôtel de cette sous-préfecture. Indice – on peut rêver – du pourquoi tu es jeté nu chez les hommes et femme de ce monde.

Voie ferrée : pour l’Est, c’est une possibilité que tu peux retenir, tout comme pour le Sud. Périple simplement plus long. Plus de peur, trop d’inconnues - et trop d’inconnus qui peuvent, en chemin, t’ouvrir gorge et veines et piquer pognon, pièces d’identité, vêtements, voire reins ou foie.

Donc il opte pour le véhicule. Le fric pour l’essence gonfle une enveloppe tout comme celui de l’hébergement, bouffe et le reste.

Feuille de route simple : uniquement les trois voies, nourriture près des pompes à essence, ne discuter que si c’est une question de vie ou de mort, tendre simplement les billets du plein et des déjeuners ou dîner dégueux, être le plus invisible possible. Ne rien dire. Personne ne doit le voir. Se souvenir de lui. Seul. Spectre motorisé sur les routes qui s’enfoncent toujours plus loin vers l’Est.

But : Solovki ou mer d’Okhotsk. Contrées de zeks, perfection ironique pour y terminer une existence sous le signe décoloré du vide, du froid et du non-quelque chose. Bien évidemment, tout peut foirer en route : il est possible qu’un -60° précoce décide son sort plus tôt, vers Novosibirsk, disons.

Q’importe.

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